A.− [L'obj. désigné par le compl. est distinct de l'agent qui le représente, le crée, le révèle ou qui en accuse les traits] 1. [La représentation est à l'image de l'agent] Reproduire les contours, la figure d'un objet. Synon. projeter, tracer.Les arbres (...) dessinaient le noir contour de leur feuillage sur un ciel étoilé (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 146).Des ombres misérables qui dessinaient sur les façades, une macabre gigue de pendus (Carco, Nost. Paris,1941, p. 193).
2. Créer, comme au moyen du dessin, la figure d'un objet qui devient sensible. a) [La figure est sensible à l'œil] Dessiner des arabesques. Un de ces visages que l'éloignement (...) dessine et qui, vus de près, retombent en poussière (Proust, Guermantes,1920, p. 174).Le plan de Manhattan est dessiné par le destin (Morand, New York,1930, p. 271).
b) [La figure est accessible à l'esprit, au sentiment] Les détails finement saisis [d'une narration] dessinaient une silhouette irrésistiblement comique (Maupass., Fort comme la mort,1889, p. 79).Quelquefois l'avenir habite en nous sans que nous le sachions, et nos paroles qui croient mentir dessinent une réalité prochaine (Proust, Sodome,1922, p. 639).
3. Révéler, faire apparaître les contours, la figure d'un objet; le rendre plus sensible. a) [La figure est sensible à l'œil ou à l'oreille] La princesse, ayant derrière elle une fenêtre, dont le jour illumine son profil de gauche, dessinant toutes les petites rides de sa peau (Goncourt, Journal,1892, p. 243).Les lampes rouges du balisage dessinèrent un hangar, des pylônes de T.S.F., un terrain carré (Saint-Exup., Vol nuit,1931, p. 86).−
Emploi pronom. Apparaître sous les traits d'une figure sensible à l'œil, à l'oreille. Se dessiner à l'horizon, sur l'écran, en silhouette; se dessiner confusément, vaguement. ♦
Sans valeur inchoative. Au premier plan, le squelette noir de la corvette se dessinait sur ce fond rouge (Hugo, Quatre-vingt-treize,1874, p. 58):5. J'ai joui en aveugle de la fraîcheur exhilarante de la brise, des caresses veloutées du soleil, et de la confuse rumeur des champs, des eaux, des villages, bruit de la vie universelle sur lequel se dessinent les fusées joyeuses des merles et des pinsons.
Amiel, Journal intime,1866, p. 219.
♦ Avec valeur inchoative. New York, les vieilles petites rues aux noms hollandais et les grandes artères nouvelles qui se dessinent et que l'on va numéroter (Cendrars, Or,1925, p. 37).Dès la 9emesure du Prélude [du 2eacte de Tristan] se dessine le motif de l'Impatience (Lavignac, Voy. artist. Bayreuth,1897, p. 323).
b) [La figure est accessible à l'esprit, au sentiment] Le tempérament dessine la manière d'être globale de l'individu en réaction à son ambiance (Mounier, Traité caract.,1946, p. 178).−
Emploi pronom. Apparaître, se manifester sous une forme particulière. Une tendance, le succès se dessine. ♦ Sans valeur inchoative. La psychologie du prêtre irlandais semble se dessiner plus nettement à la lumière de ces faits (Bourget, Ét. et portr.,Ét. angl., 1888, p. 59).
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Avec valeur inchoative. En 1846, l'Académie des Beaux-Arts s'inquiète du mouvement qui se dessine en faveur de l'architecture médiévale (Réau, Art romant.,1930, p. 212):6. ... bientôt la maladie que vous appellerez, si vous le voulez, la maladie du génie, l'inquiétude vague, le mécontentement et la nausée du présent, qui sera l'état fondamental et constitutionnel de La Mennais, se dessine et se déclare, et pour ne plus cesser.
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 11, 1863-69, p. 353.
4. Accuser, faire ressortir nettement les contours, la forme d'un objet. Le bruit du moteur dessinait les lacets de la route (Arnoux, Écoute,1923, p. 243).Elle ouvrit largement la bouche, ponctuant chaque syllabe d'un geste qui dessinait sa parole (Chardonne, Varais,1929, p. 148).− Emploi pronom. S'accuser, apparaître en traits fortement marqués. Longues routes blanches se dessinant au loin (Stendhal, Souv. égotisme,1832, p. 69).Il a pris de l'embonpoint et son abdomen s'est dessiné en pointe (Kock, Compagn. Truffe,1861, p. 26).
− En partic. [Le suj. désigne un vêtement qui accuse les formes du corps] Dessiner la/une taille. Synon. mouler.Un pantalon collant lui dessine la cuisse (Barbier, Satires,1865, p. 67).Sa robe (...) qui l'étreignait comme un vêtement japonais, dessinant le serpentement de sa gorge, la corniche de ses hanches (Huysmans, Marthe,1876, p. 46).
B.− [L'obj. équivaut à un compl. d'obj. interne] Affecter la forme, la figure de quelque chose. Cette couture [sur un rideau] dessinait une croix (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 32).Sur un bleu d'Île-de-France, des nuages floconneux dessinaient un ciel de Corot, de Monet (Maurois, Mes songes,1933, p. 251):7. ... les bouquets (...) que dessinait la tapisserie de sa chambre. Par le caprice de lignes, chacun de ces bouquets laissait voir, au milieu des fleurs, une certaine tête de taureau, et aussi une tête d'homme barbu, coiffé d'une toque à plume.
Châteaubriant, M. des Lourdines,1911, p. 244.
Rem. On rencontre ds la docum. a) Dessinable, adj. De nature à pouvoir être dessiné. Une vaguelette qui enfle délicieusement une eau matinale et qui semble immobile, dessinable, parce que la mer est tellement calme qu'on ne perçoit pas la marée (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p. 891). P. métaph. Une sonnerie de cor aux rugosités minutieuses et presque dessinables (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 83). b) Dessinage, subst. masc., péj. Art, métier de dessinateur; dessin médiocre. Ce dessinage n'est pas un métier, mais il était flatté quand même; et c'est ainsi qu'il fut décidé que (...) Aimé (...) irait dessiner chez M. Vernet (Ramuz, A. Pache, 1911, p. 14). c) Dessinaillure, subst. fém., péj. Dessin de mauvaise qualité. Ce qui salit la chaux des murs, des peintures et des dessinaillures infectes de rapins (Goncourt, Journal, 1863, p. 1309). d) Dessinant, ante, part. prés. de dessiner. Emploi subst. masc. Celui qui dessine (cf. dessiné, ée III B). e) Dessinoter, verbe intrans. Il m'avait vue dessinoter (Goncourt, Ch. Demailly, 1860, p. 242).