a)
α) Action de se quitter en prenant congé. On les rencontre partout ensemble, ils dînent ensemble, vont ensemble par les rues, et chaque soir se reconduisent dix fois de la porte de l'un à la porte de l'autre sans se décider à la séparation (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Homme-fille, 1883, p. 613).Place Clichy il n'y avait pas de fiacre. − Nous en trouverons sûrement à Villiers, dit une voix. Il n'y avait pas plus de raison pour continuer que pour se séparer. Le froid engourdissait les volontés. Il se trouva que personne ne prit l'initiative de la séparation (Vailland,Drôle de jeu, 1945, p. 62).
β) En partic. Séparation d'une assemblée. Interruption des travaux d'une assemblée, dispersion de ses membres. L'on déclara tout de suite à l'unanimité des suffrages, « que l'Assemblée consentait provisoirement, pour la nation, à la perception des impôts existants, − quoique illégalement établis et perçus, − mais seulement jusqu'à la première séparation de l'Assemblée, de quelque cause qu'elle pût provenir! (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 238).
b) Action, fait de s'éloigner, d'être éloigné de quelqu'un pour un temps plus ou moins long. Des larmes avaient jailli de ses yeux, au souvenir de leur séparation, là-bas, à Remilly, lorsqu'ils s'étaient quittés en se demandant si l'on se reverrait un jour, et comment, dans quelles circonstances de douleur ou de joie (Zola,Débâcle, 1892, p. 609):2. Si je cherche maintenant pourquoi je m'imposais cette séparation qui m'était pénible, j'aperçois plusieurs mobiles: d'abord je me trouvais laide à ce moment; j'avais le visage fatigué; je craignais de lui déplaire. Puis l'idée d'éloigner Philippe de Solange continuait à m'être précieuse, et peut-être plus précieuse même que la présence de mon mari.
Maurois,Climats, 1928, p. 228.
−
Séparation + adj.Séparation déchirante, douloureuse; séparation imminente, imprévue, inévitable, irrévocable ; séparation momentanée, passagère; cruelle séparation; brusque, courte, longue séparation. Souvent, leurs yeux se rencontraient, avec une expression de tendresse inquiète, comme s'ils étaient à la veille d'une séparation éternelle (Rolland,J.-Chr., Maison, 1909, p. 1068).Quand le train s'arrêta, des séparations interminables, qui avaient souvent commencé sur ce même quai de gare, y prirent fin, en une seconde, au moment où des bras se refermèrent avec une avarice exultante sur des corps dont ils avaient oublié la forme vivante (Camus,Peste, 1947, p. 1460).[À propos de la mort] Séparation à jamais. Mon père disait que cet enfant faisait sa gloire. Tout le monde se louait de lui, ce n'était que larmes et louanges sur son cercueil. Ce fut avant-hier la triste, lugubre, déchirante et dernière séparation au cimetière (E. de Guérin,Lettres, 1839, p. 295).Toute la question était d'empêcher le plus d'hommes possible de mourir et de connaître la séparation définitive. Il n'y avait pour cela qu'un seul moyen qui était de combattre la peste (Camus,Peste, 1947, p. 1325).♦ Séparation + déterm. qui en précise la durée.Il me tarde bien de vous revoir, mes bons amis. Notre séparation d'un mois m'est extrêmement pénible (Michelet,Journal, 1838, p. 792).Particulièrement heureux, tous les deux, aujourd'hui; savourant le bonheur d'être ensemble et isolés dans la foule, souffrant à la seule idée d'une séparation de quelques instants (Larbaud,Journal, 1931, p. 250).
−
Séparation + déterm. désignant l'un des protagonistes ou les protagonistes de l'action.♦ Séparation + adj. de rel.La « crise d'originalité juvénile », comme on l'a nommée, est une réaction fonctionnelle normale, qui ne doit pas être brimée, mais aidée et canalisée. Une séparation familiale de quelque durée est presque indispensable pour favoriser cette maturation (Mounier,Traité caract., 1946, p. 103).
♦ Séparation (de qqn) avec/d'avec qqn.Annette, sentant que sa séparation avec son cousin alloit devenir éternelle, mit à le voir, lui parler et l'accueillir, une affectueuse amitié, une tendresse si forte, si sentie, qu'il en fut ému (Balzac,Annette, t. 3, 1824, p. 161).Pendant les premières sept années de sa séparation d'avec sa maîtresse, il s'échappait de chez lui le matin, avant le jour, et il allait à 4 lieues de là, à pied, pour voir à un bureau de poste s'il n'était pas venu de lettres (Flaub.,Corresp., 1846, p. 288).
♦
Séparation de qqn (vieilli).Le 16 septembre, jour de deuil, séparation de mes enfants qui sont reparties avec leur tante pour Périgueux (Maine de Biran,Journal, 1818, p. 158):3. Tout ce qu'on peut dire (...), c'est que le chagrin causé par la séparation de la « bien-aimée » inconnue n'est pas encore assez fort, à cette date (...), pour ne point laisser à l'esprit de Beethoven la liberté de jouir de la compagnie d'une jolie fille et de ses aimables agaceries.
Rolland,Beethoven, t. 2, 1937, p. 533.
♦ Séparation de... et de.La veille de la double séparation du père et de la fille, de l'épouse et de l'époux, Eudore fit savoir à Cymodocée que tout étoit prêt (Chateaubr.,Martyrs, t. 2, 1810, p. 220).
− Séparation + compl. prép. désignant l'orig. ou la cause de l'action.Le toi, c'est la personne avec qui l'on vit, que l'on aime, dont on est tourmenté, que l'on agite, que l'on passionne, qu'il faudra quitter pour la séparation volontaire de la vie ou involontaire de la mort (Vigny,Journal poète, 1862, p. 1366).[Alban s'était] rasé pendant la séparation des vacances (Montherl.,Bestiaires, 1926, p. 388).
−
Séparation en position de compl. déterm.L'heure de la séparation était venue. L'équipage et les passagers se tenaient sur le pont. Plus d'un se sentait l'âme serrée (Verne,Enf. cap. Grant, t. 3, 1868, p. 245).On sentait (...) qu'une mélancolie pesait sur la maison tout entière, et devenait de plus en plus lourde à mesure qu'approchait le jour de la grande séparation (Loti,Rom. enf., 1890, p. 95).♦ [Le déterminé précise la durée de la séparation] Après une année de séparation forcée, nous nous retrouvons chez mon oncle (Dumas fils, Fils natur., 1858, iii, 4, p. 148).Elle avait abdiqué toute fierté. Ces trois jours de séparation l'avaient transformée (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p. 467).
♦ [Le déterminé précise le sentiment, la réaction provoqué(e) par la séparation] Toute la douleur de la séparation vint me saisir; je me sentais défaillir en regardant cette voiture qui m'entraînait loin d'elle! (Krüdener,Valérie, 1803, p. 189).C'est la fin du jour, la tristesse de la séparation, un plaisir douloureux d'amour (Barrès,Cahiers, t. 11, 1914, p. 17).
c)
α) Relâchement ou rupture du lien qui unissait deux personnes. Le sevrage alimentaire du nourrisson (...) est en même temps une séparation d'avec la mère: plus il a été pénible, moins bien les renoncements ultérieurs seront supportés (Mounier,Traité caract., 1946, p. 428).−
En partic. [À propos d'un homme et d'une femme, d'un mari et de sa femme] Puisque la princesse, sa femme, ne se souciait aucunement de lui, une séparation de forme n'ajoutait guère à la séparation de fait, et n'y joignait pas même une notoriété déjà complète (Gobineau,Pléiades, 1874, p. 332).Il se rendait (...) bien compte que depuis sa séparation d'avec sa femme sa fille ne lui appartenait plus (Van der Meersch,Invas. 14, 1935, p. 75).V.
dissocier B 1 ex. de
Sauvegarde de l'enfance.
♦ Synon. de divorce.Le mariage avec Marie-Louise, disait l'Empereur, se proposa et se conclut dans le même jour, et sous les mêmes formes et conditions que celui de Marie-Antoinette, dont le contrat fut adopté pour modèle. Depuis la séparation avec Joséphine, on traitait avec l'empereur de Russie pour une de ses sœurs (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 193).
β) DR. CIVIL. [À propos de deux conjoints] −
Séparation de biens. ,,Régime matrimonial caractérisé par l'absence de biens communs aux deux époux`` (Jur. 1985). Le contrat fut établi sur le régime de la séparation des biens qui conserve aux époux l'entière administration de leur fortune (Zola,Curée, 1872, p. 384)♦ Séparation de biens conventionnelle. ,,Séparation de biens stipulée dans le contrat de mariage`` (CAP. 1936).
♦ Séparation de biens judiciaire. Séparation de biens prononcée par l'autorité judiciaire à la demande d'un des époux en cas de mauvaise gestion ou d'inconduite de son conjoint, qui se substitue au régime matrimonial antérieur mais peut cesser par consentement des deux époux et qui, par ailleurs, résulte également de la décision de justice prononçant la séparation de corps entre les époux (d'apr. Cap. 1936 et Lar. encyclop. Suppl. 1968).
−
Séparation de corps ou, absol., séparation. Simple relâchement du lien conjugal, consistant essentiellement dans la dispense du devoir de cohabitation, prononcé par jugement et résultant des mêmes causes que le divorce (d'apr. Jur. 1985). La séparation de corps (...) laisse subsister les obligations de fidélité et de secours (M. Vanel,Pt Manuel de Dr., t. 1, 1956, p. 162).V.
corps II A 2 b α ex. de Drieu La Rochelle.
♦
Loc. verb. Demander la séparation; plaider en séparation; intenter un procès en séparation; introduire une demande, présenter une requête en séparation. On n'attribue à la femme qu'un seul genre d'honneur. Infidèle à son mari, elle est flétrie et avilie, elle est déshonorée aux yeux de ses enfants, elle est passible d'une peine infamante, la prison. Voilà ce qu'un mari outragé qui veut soustraire ses enfants à de mauvais exemples, est forcé de faire quand il demande la séparation judiciaire (Sand,Hist. vie, t. 4, 1855, p. 393).Prononcer la séparation; rendre un jugement de séparation. Le 16 février 1836, le tribunal rendit un jugement de séparation en ma faveur (Sand,Hist. vie, t. 4, 1855, p. 388).Si j'avais croqué la dot de ma femme, c'est contre moi que l'on prononcerait la séparation. Ce n'est pas cela que je veux, je veux qu'elle soit prononcée en ma faveur (Meilhac, Halévy,Boule, 1875, i, 10, p. 26).− Séparation de dettes. ,,Clause d'un contrat de mariage aux termes de laquelle les dettes de chaque époux doivent être payées par celui qui les a contractées`` (Barr. 1974). La clause de séparation des dettes n'empêche point que la communauté ne soit chargée des intérêts et arrérages qui ont couru depuis le mariage (Code civil, 1804, art. 1512, p. 279).
− Séparation de fait. ,,Situation de deux époux qui vivent séparément sans y avoir été autorisés par un jugement de divorce ou de séparation de corps`` (Jur. 1985). La séparation de fait n'est plus désormais illicite (Jur.1985).
− P. métaph. Ils avaient cru, ainsi que la chose arrive souvent, s'épouser sous le régime de la séparation de cœur. Mais un soir, après une violente querelle où ils avaient résolu de se quitter sur le champ, ils s'aperçurent que leurs mains, qui s'étaient serrées en signe d'adieu, ne voulaient plus se séparer. Presque à leur insu leur caprice était devenu de l'amour (Murger,Scènes vie boh., 1851, p. 171).
γ) P. anal., RELIG., MYSTIQUE. Le christianisme, après avoir posé comme premier terme le dogme de la chute, a poursuivi sa pensée en affirmant, pour tous ceux qui mouraient dans cet état de souillure, une séparation irrévocable d'avec Dieu, une éternité de supplices (Proudhon,Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 345).
δ) Fait de rompre avec quelqu'un sur le plan des idées, des options politiques notamment; divergence d'idées, d'opinions. L'Empereur m'a amené au jardin vers les quatre heures. Il venait de finir la dictée sur la Corse, ayant épuisé le sujet sur cette île, celui de Paoli, et parlé de l'influence que lui-même s'y était créée si jeune encore, lors de sa séparation politique d'avec Paoli (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 212).Dans ce journal comme dans l'organisation, à la fin de 1830, la démission de Lafayette, qui était le grand chef de la garde nationale, provoque des dissentiments et des séparations (Morienval,Créateurs gde presse, 1934, p. 34).
ε) POL. Rupture d'une alliance, d'un lien de dépendance. Seules, les perspectives d'une rupture avec nous et la nécessité de ménager les sentiments de la France pourraient imposer à Londres une certaine modération (...). L'inconvénient moral et matériel que présenterait, pour nous, la séparation d'avec la Grande-Bretagne avait, évidemment, de quoi nous retenir (De Gaulle,Mém. guerre, 1954, p. 179).−
HIST. POL. Séparation des Églises et de l'État. ,,Régime considérant l'activité religieuse comme une activité privée, soumise à la seule police de l'ordre public et traitant par la suite les Églises comme des groupements de droit privé`` (Cap. 1936); situation qui en résulte. Qu'on ne s'effraie pas des inconvéniens que la suppression du salaire semble, au premier coup-d'œil, pouvoir entraîner; fussent-ils réels, il faudroit encore s'y résigner sans hésitation, puisque le salut de l'Église dépend de sa séparation d'avec l'État (Lamennaisds L'Avenir, 1830-31, p. 156):4. Le régime légal fixe la condition officielle de la société religieuse dans l'État: séparation radicale ou partielle, concordat large ou restrictif. On se gardera de faire aux textes officiels une confiance excessive: « il y a des concordats orageux et des séparations cordiales »...
Philos., Relig., 1957, p. 44-4.
♦ Loi de séparation. Loi du 9 décembre 1905 instituant ce régime. Tout récemment la loi de Séparation qui a dissous un grand nombre de congrégations a eu également pour effet de transmettre à l'État et aux communes la propriété des œuvres d'art qui se trouvaient dans les Églises et les Évêchés (Réau,Archives, bibl., musées, 1909, p. 26).
♦ Absol. La Séparation. ,,Épisode historique qui a abouti à l'état de droit de la séparation entre les Églises et l'État`` (Lar. Lang. fr.). [Les] grands débats de la Séparation et des querelles des Inventaires (France,Révolte anges, 1914, p. 4).