2. Au fig. [En parlant de la lourdeur ou de la quantité excessive des souffrances phys. ou mor., des difficultés, des obligations, etc.] :
19. ... j'ai été malade. En finissant ma dernière lettre, je me sentois oppressée, triste, sans savoir pourquoi, et faisant une très-maussade compagnie à la vive et brillante Adèle. Je remettois chaque jour à t'écrire, à cause de l'abattement qui m'accabloit enfin la fièvre m'a pris.
MmeCottin, Claire d'Albe,préf., 1799, p. 124.
20. Quand la tourmente s'annonce sur les mers orageuses, le pilote appelle son art, et son art lutte contre la tourmente. Quand le calme le saisit sur les plages de la Pacifique, il n'est plus d'art, plus d'effort, on se consume lentement, on périt dans l'abattement, c'est un calme de mort. L'homme de génie s'élève contre de grands malheurs, il les combat, il les surmonte. Quand de lentes douleurs l'oppriment froidement, quand les ennuis le harcèlent et l'accablent, il est terrassé sans combat, il s'éteint sans résistance.
É. de Senancour, Rêveries,1799, p. 82.
21. ... ces affections, quand elles sont portées à leur dernier terme, tantôt se transforment en démence et fureur (état qui résulte directement de l'excès des concentrations et de la dissonnance des impressions que cet excès entraîne); tantôt accablent et stupéfient le système nerveux, par l'intensité, la persistance et l'importunité des impressions, d'où s'ensuivent et la résolution des forces, et l'imbécillité.
P. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 1, 1808, p. 433.
22. Le crépuscule mourait. Vous m'aviez chargé de tristesse quelques heures auparavant; le soir, qui aggrave cette affection de l'âme, en s'affaissant doublait de puissance, tout m'accablait et conspirait à m'accabler. Il y a des pensées si tristes qu'elles attendent la nuit pour se rassembler et assaillir l'esprit. Quel essaim s'est abattu sur moi!
M. de Guérin, Correspondance,1837, p. 264.
23. Elle était paresseuse à parler, à répondre. : Non, je n'ai rien... Je vais bien... » Elle laissait seulement cela tomber de ses lèvres avec un accent de souffrance, de tristesse et de patience. L'oppression l'accablait maintenant. C'était comme un poids qu'elle se sentait dans la poitrine et que sa respiration avait peine à soulever. Une gêne, un malaise vague, se répandant de là par tout son être et la remplissant d'énervement, lui ôtait toute énergie vitale, brisait en elle toute volonté de mouvement et la tenait écrasée, inclinée, sans forces pour sortir et se relever d'elle-même.
E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 298.
24. ... l'infini masqué de noirceur, voilà la nuit. Cette superposition pèse à l'homme. Cet amalgame de tous les mystères à la fois, du mystère cosmique comme du mystère fatal, accable la tête humaine.
V. Hugo, Les Travailleurs de la mer,1866, p. 300.
25. À quoi bon ces ivresses d'un moment, suivies d'angoisses qui durent de longs jours, de longues nuits, qui me serrent la gorge et m'inspirent pour tout au monde, occupations, obligations, devoirs, plaisirs, jouissances de l'esprit, distractions de l'intelligence, un dégoût que je ne puis vaincre, qui... oui, qui m'accable, qui m'oppresse et m'étouffe, et m'achève si lentement?
J.-A. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 295.
26. ... le comble de la douleur atteint à la délivrance. Ce qui abat, ce qui accable, ce qui détruit irrémédiablement l'âme, c'est la médiocrité de la douleur et de la joie, la souffrance égoïste et mesquine, sans force pour se détacher du plaisir perdu, et prête secrètement à tous les avilissements pour un plaisir nouveau.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 648.
27. Maxence, sur les ruines, s'asseoit. Mais soudain une étrange oppression l'accable. Tout l'ennui de l'islam est devant lui, et la servitude, et l'immense découragement, et le morne « à quoi bon » de ces esclaves!
E. Psichari, Le Voyage du centurion,1914, p. 224.
28. J'ai offensé deux êtres, sans réparation possible. Mais la mort du premier, de mon père chéri, oui ce fut une délivrance; la mort de l'autre, de la femme détestée qui a été l'ennemie du bonheur, m'accable sous un poids que je ne soulèverai plus jamais.
P.-J. Jouve, Paulina 1880,1925, p. 136.
29. Le destin m'accable! On m'exaspère à plaisir! On me harcèle! On me crible! On me ruine! On me piétine! On m'afflige de cent mille façons! Et maintenant? Que veut-il encore? Quelles prétentions? M'extorquer ma dernière gamelle!... à Dache!
L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 500.
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En partic. [En parlant d'attitudes, de propos désagréables, de jugements ou preuves pouvant entraîner condamnation, etc.] :
30. Déclamations contre le luxe et scandales vertueux, haine de la toilette et maximes morales, mots à double entente et haussements d'épaules, tout fut employé à l'envi pour accabler cette femme qui, à en juger au contraire par l'acharnement de ces rustres, devait être de manières élégantes, de nature relevée, avoir des nerfs délicats et, sans doute, quelque jolie figure.
G. Flaubert, Par les champs et par les grèves,Touraine et Bretagne, 1848, p. 359.
31. De l'éternel azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poëte impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de douleurs.
S. Mallarmé, Poésies,L'Azur, 1898, p. 37.
3. P. ext. [En parlant d'un excès de bien, de bonheur, de faveurs, etc.] :
32. Ce bonheur me tue, il m'accable Ma tête est trop faible, elle éclate sous la violence de mes pensées. Je pleure et je ris, j'extravague. Chaque plaisir est comme une flèche ardente, il me perce et me brûle!
H. de Balzac, Louis Lambert,1832, p. 178.
33. Plus elle l'aimait, le lui disait et s'épanchait en lui, et plus cette tendresse l'accablait comme un fardeau trop fort; son dévouement, sans retour de sa part, lui semblait le plus amer des reproches, et tout ce qu'elle lui donnait d'amour et de caresses une sorte d'aumône, de prodigalité écrasante.
G. Flaubert, La Première éducation sentimentale,1845, p. 202.
34. ... cet amour ne va pas sans une inexprimable mélancolie. Tout ce qui est souverainement beau ravit à la fois et torture, exalte et accable;...
P. Bourget, Nouveaux essais de psychologie contemporaine,1885, p. 129.
35. Jamais Mozart n'avait été joué avec autant de perfection que la veille. Lui, Moïse, en était encore pénétré... Sa haine pour les ennemis, son amour du gain, la rapidité même de sa parole en avaient été relâchés au profit d'un bien-être physique qui l'accablait depuis son lever. Cette rouille dans ses genoux, cet engourdissement de ses oreilles, en effet, il le reconnaissait maintenant, c'était bien la nonchalance divine, l'acide urique suprême, c'était bien Mozart.
J. Giraudoux, Bella,1926, p. 89.
Rem. 1. a) La prép. de, suivie d'un n. sans art., indique la nature de la charge accablante; par et surtout sous, suivis d'un n. avec art. déf., soulignent en outre l'idée de poids ou d'écrasement. b) Si le compl. introd. par de est accompagné d'un qualificatif ou d'un compl. caractérisant, il est précédé de l'art. indéf. :
36. Voilà pourquoi aussi l'homme ne peut ni produire ni supporter beaucoup de poésie; c'est que le saisissant tout entier par l'âme et par les sens, et exaltant à la fois sa double faculté, la pensée par la pensée, les sens par les sensations, elle l'épuise, elle l'accable bientôt, comme toute jouissance trop complète, d'une voluptueuse fatigue, et lui fait rendre en peu de vers, en peu d'instants, tout ce qu'il y a de vie intérieure et de force de sentiment dans sa double organisation.
A. de Lamartine, Des Destinées de la poésie,1834, p. 387.
37. Ô Seigneur, accablez notre âme et nos paupières
D'un sommeil plus pesant et plus sourd que la pierre;
(...)
Et que la paix des morts nous gagne, et qu'on oublie
Toute cette tristesse immense de la vie!
Ch. Guérin, Le Cœur solitaire,1904, p. 49.
c) Except. [Le compl. prép. désigne une pers.] . :
38. Vous avez un tel charme dans votre manière de vous intéresser, que je vous accable de moi. Cet été serait encore bien doux si je le passais avec vous...
G. de Staël, Correspondance générale,Lettres diverses, t. 2, 12 mars 1794, p. 580.
Rem. 2. S'accabler, réfl., est rare :
39. Puisqu'on ne pouvait condamner les autres sans aussitôt se juger, il fallait s'accabler soi-même pour avoir le droit de juger les autres.
A. Camus, La Chute,1956, p. 1544.
L'emploi passif semble plus fréq., mais est souvent difficile à déterminer comme tel (cf. accablé, part. passé, rem. 1). Qq. ex. sûrs où l'auxil. est à un temps narratif du passé (cf accablé, ex. 10, et sup. ex. 12, 14). Rem. 3. a) Les verbes avec lesquels accabler est le plus souvent en assoc. paradigm. sont : − très fréq. : faire tomber; − fréq. : écraser, épuiser; − moins fréq. : accuser, affaisser, atterrer, charger, combler, courber, détruire, éblouir, ennuyer, exalter, (en) finir, fléchir, frapper, humilier, insulter, lasser, opprimer, faire souffrir, stupéfier, traîner, triompher, tourmenter. b) Les subst. apparaissant le plus souvent dans les compl. du verbe sont : − très fréq. : caresses, injures, invectives, mépris, questions; − fréq. : colère, compliments, dédain, douleur, haine, lettres, maux, poids, reproches, sarcasmes, tendresses, travail; − moins fréq. : affaires, amitié, amour, arguments, bonté, cadeaux, calomnies, conseils, demandes, désespoir, éloges, ennui, fardeau, force, gloire, honneur, honte, impôts, injustices, insultes, ironie, louanges, malédictions, malheurs, menaces, mots, outrages, paroles, peine, plaisanteries, politesses, preuves, prévenances, railleries, recommandations, regards, rigueurs, soins, torts, tristesse.