1. [Le compl. d'obj. désigne une pers. ou un attribut de la pers.] a) Rendre d'une immobilité absolue, généralement sous l'effet d'une émotion intense; laisser sans réaction. Synon. clouer, figer, paralyser.S'il avait su conquérir le moindre droit qui lui permît d'être jaloux de cette femme, il aurait pu la pétrifier en lui disant: «Rue Soly»! (Balzac,Hist. Treize, Ferragus, 1831, p.28).Le buste droit, la tête dressée comme celle d'un rapace (...), les lèvres pincées (...), quelque chose de rigide qui lui pétrifiait tout l'être, ne disaient que la tension suffocante de l'anxiété (Montherl.,Olymp., 1924, p.285).♦
[Le suj. désigne un état affectif] Denise jeta un cri de joie. Tous les autres demeurèrent dans une stupéfaction qui les pétrifia (Balzac,Curé vill., 1839, p.104).[Suivi d'un compl. second. qui en indique la cause] Sa destinée est devant lui, comme une tête de Méduse. L'épouvante le pétrifie à ce spectacle (Bourget,Nouv. Essais psychol., 1885, p.293).♦
[Le suj. désigne un acte, un fait, un spectacle qui provoque une émotion intense] Sans attendre un jour de plus (...) j'ai déclaré ma volonté et décliné mes motifs avec un aplomb et un sang-froid qui l'ont pétrifié [mon mari] (Sand,Corresp., t.1, 1830, p.132).Le nom de Javert prononcé les mettait en déroute; la face de Javert apparaissant les pétrifiait. Tel était cet homme formidable (Hugo,Misér., t.1, 1862, p.215).Soudain je m'immobilisai (...). Une évidence me pétrifiait: des tâches infinies m'attendaient, j'étais tout entière exigée; si je me permettais le moindre gaspillage, je trahissais ma mission et je lésais l'humanité (Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p.181).[Suivi d'un compl. second. qui en précise l'effet] Ces mots pétrifièrent de terreur les trois auditeurs (Hugo,Han d'Isl., 1823, p.334).−
Empl. pronom. Des gens se pétrifiaient devant l'or des joailleries et des bureaux de change (Huysmans,En mén., 1881, p.201).Tout lui était prétexte à suspendre ses gestes, à se figer dans une belle attitude, à se pétrifier; il raffolait de ces courts instants d'éternité où il devenait sa propre statue (Sartre,Mots, 1964, p.16).V.
bigarré ex. 2.
♦ [Suivi d'un compl. second.] Se pétrifier d'attention. Et se pétrifiant dans l'exaltation, Le Révérend, les bras croisés, tête baissée, Semble l'esprit sculpté de l'Inquisition (Verlaine,Poèmes saturn., 1866, p.92).
b) En partic. [Le compl. d'obj. désigne le visage, les yeux] Figer dans une certaine expression; rendre sans expression, sans vie. Vivre ainsi, se gêner, mentir à ce qu'on aime! Enchaîner cet aveu qui vole de lui-même! Mordre sa lèvre en sang, pétrifier ses yeux! (Sainte-Beuve,Livre d'amour, 1843, p.6).À cette question (...) une (...) expression d'inintelligence pétrifia l'oeil ordinairement pénétrant d'Hervé (Feuillet,Bellah, 1850, p.160).La lumière vint frapper ce visage pétrifié par une anxiété plus qu'humaine (Bernanos,Joie, 1929, p.722).−
Empl. pronom. En quelques secondes, son visage s'est pétrifié. Je n'aime pas ce souffle court. Ces mains crispées. Ces prunelles de verre (H. Bazin,Huile sur feu, 1954, p.313).♦ [P. méton.] Les soirées devenaient languissantes aux Tournelles. La maussaderie se pétrifiait sur tous les visages (Duranty,Malh. H. Gérard, 1860, p.206).Au rappel de cette promesse (...) son sourire se pétrifia, toute sa figure prit une expression d'incroyable dureté (A. Daudet,Nabab, 1877, p.2).
c) [Sans idée d'immobilité physique] − Priver de spontanéité, de liberté, guinder. Le midi de la France, Toulouse surtout, a des rapports frappants avec l'Italie (...). Les jeunes gens y sont moins pétrifiés par la peur de n'être pas bien (Stendhal,Rome, Naples et Flor., t.1, 1817, p.167).Personne ici [à Turin] n'est pétrifié par le souci de singer l'ennui. Même les jolies femmes ne sont pas affectées (Giono,Voy. Ital., 1953, p.21).
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Priver de ses moyens, de ses facultés intellectuelles. Vous avez fait une affaire de trente mille francs avec une maison [genevoise] (...) Vous avez de nouveaux rapports après dix ans; cette maison vous fait observer que, lors de la première affaire, vous avez oublié de lui rembourser un port de lettre de sept sous. Ces procédés-là me pétrifient, mais je les approuve infiniment (Stendhal,Mém. touriste, t.2, 1838, p.292).Un grand nombre d'esprits se croient définitivement et entièrement inaptes à penser mathématiquement. (...) la simple vue d'une page de géométrie les paralyse et les pétrifie (Valéry,Entret.[avec F. Lefèvre], 1926, p.22).♦ Empl. pronom. Douloureux mystère! Que la folie ne soit presque jamais la nuit complète des idées (...). Dans ces âmes hallucinées, dans ces cerveaux qui se pétrifient, il y a des retours, des jours, des lueurs (Goncourt,Ch. Demailly, 1860, p.389).
2. [Le compl. d'obj. désigne une pers. considérée dans sa vie affective ou un attribut de la pers.] Rendre dur, priver de chaleur, de sensibilité. Mon coeur n'est pas encore pétrifié; et je crois au contraire qu'il n'a jamais été plus véritablement ému (Sand,Jacques, 1834, p.100).−
Empl. pronom. Au rebours de la fable de Pygmalion, plus Bettina écrit, plus Goethe se pétrifie, plus ses lettres sont glaciales (Balzac,Lettres Étr., t.2, 1843, p.189).♦ [Suivi d'un compl. second.] C'est une misère abrutie, au milieu de laquelle l'intelligence s'éteint comme une lampe dans un lieu sans air; où le coeur se pétrifie dans une misanthropie féroce (Murger,Scènes vie boh., 1851, p.10).Elle se distrayait de ses peines en plongeant dans celles des autres. Peut-être la curiosité l'emportait-elle sur la pitié, dans cette période où son coeur s'était pétrifié au spectacle des souffrances, et surtout des défaites et des abdications (Rolland,Âme ench., t.2, 1925, p.232).
3. [Le compl. d'obj. désigne une pers., une collectivité du point de vue de leur comportement intellectuel, moral, etc., ou une de leurs productions] Fixer dans un certain état, empêcher toute évolution. Synon. figer.Pétrifier l'art, la religion. L'impôt progressif arrête le développement de la richesse (...); il rapetisse, il pétrifie la société (Proudhon,Syst. contrad. écon., t.1, 1846, p.278).La tradition familiale, renforcée par l'école, les relations personnelles et, à l'occasion, la profession, tendit à pétrifier l'opposition (Lefebvre,Révol. fr., 1963, p.594):. ... c'est notre vénération devant ce qui a été déjà fait, si beau et si valable que ce soit, qui nous pétrifie, qui nous stabilise et nous empêche de prendre contact avec la force qui est dessous, qu'on l'appelle l'énergie pensante, la force vitale...
Artaud,Théâtre et son double, 1938, p.94.
− [Suivi d'un compl. second.] C'est donc en vain que l'on voudrait pétrifier la mobile physionomie de notre idiome sous une forme donnée (Hugo,Préf. Cromwell, 1827, p.36).Quelle fut donc la croyance, également accréditée auprès de tous, qui se pétrifia par la suite dans la lettre des formules hiératiques et dans le texte de la loi, contraignant par des liens immobiles et figés l'esprit mobile des hommes? (Gaultier,Bovarysme, 1902, p.144).
− Empl. pronom. À ces gens-là [à courte vue], tous les souvenirs historiques sont tournés en préjugés; toute leur expérience s'est pétrifiée en fausses analogies (Sainte-Beuve,Prem. lundis, t.1, 1830, p.370).Leurs constitutions [des villes italiennes] (...) s'étaient pétrifiées (...) au point où la conquête romaine les avait surprises (Mérimée,Essai guerre soc., 1841, p.72).