A. [En parlant d'une pers.] Qui goûte la satisfaction d'avoir pu accomplir totalement ses désirs, épanouir harmonieusement sa personnalité. Être le plus heureux des hommes, la plus heureuse des femmes; être heureux ensemble/icibas. Quant aux poëtes, les plus heureux en apparence, les plus charmés du séjour de la terre ont, au milieu de leurs joies, des accents d'une profonde mélancolie (P. Leroux, Humanité, t. 1, 1840, p. 10).Les gens heureux n'ont pas le droit d'être optimistes : c'est une insulte au malheur (Renard, Journal,1903, p. 839).Peut-être qu'il vaut mieux ne pas être trop heureux : c'est seulement dans la peine qu'on comprend la peine de toute vie (Pourrat, Gaspard,1931, p. 113).Surtout un délicieux garçon comme lui (...). C'est un ange... Comme tu vas être heureuse, gâtée, comblée (Anouilh, Sauv.,1938, I, p. 153).V.
bonheur ex. 8 :
7. Le secret pour être heureux c'est de savoir jouir à table, au lit, d'être debout, d'être assis, jouir du plus proche rayon de soleil, du plus mince paysage, c'est-à-dire aimer tout : de sorte que pour être heureux, il faut déjà l'être − pas de pain sans levain.
Flaub., Souv.,1841, p. 54.
8. ... Rieux (...) dit d'une voix ferme (...) qu'il n'y avait pas de honte à préférer le bonheur. − Oui, dit Rambert, mais il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul. Tarrou (...) fit remarquer que si Rambert voulait partager le malheur des hommes, il n'aurait plus jamais de temps pour le bonheur. Il fallait choisir.
Camus, Peste,1947, p. 1387.
SYNT. a) Âme, chair, conscience heureuse. b) Couple, enfant(s), époux, imbécile heureux; famille, fille, mère heureuse; heureux mortels. c) S'estimer/paraître/rendre (qqn)/sembler/se sentir/se trouver/vivre heureux; (être) extrêmement/fort/infiniment/parfaitement/particulièrement/pleinement/profondément heureux.
♦ Ombres heureuses ou subst. les heureux. Ceux qui jouissent du paradis. Guerrier généreux, Qui passe de la terre au séjour des heureux (Fontanes,
Œuvres, t. 1, La Grèce sauvée, 1821, p. 326).V. comprendre ex. 11.
−
Locutions ♦ Avoir tout pour être heureux. En voilà un qui aura tout pour être heureux, s'il sait s'en servir (...) : la banque, les sucreries, un grand journal quotidien, un titre du Saint-Empire, la notoriété mondiale (Druon, Gdes fam., t. 1, 1948, p. 15).
−
(Être) heureux comme un bâtard/comme un coq en pâte/comme un poisson dans l'eau/comme un roi, etc. Je ris tout bas du bal, des jeux, des amourettes, Moi, je critique, et vous, vous jouissez. Vous êtes Heureux comme un roi, sire, et moi, comme un bossu (Hugo, Roi s'amuse,1832, p. 362).♦ (Être) heureux dans son/en ménage. Il avait été heureux en ménage, cédant aux exigences de sa femme, répondant : oui, ma vieille, à tout ce qu'elle disait, et, concessions pour concessions, l'autre le dorlotait (Huysmans, Sœurs Vatard,1879, p. 34).
♦
(Être/sembler, etc.) heureux de (+ subst. : bonheur/occasion/succès, etc.);(être) heureux de (+ inf. : apprendre / causer / connaître /échapper / être aimé / montrer / obtenir / offrir / partager / posséder / pouvoir / recevoir / retrouver / revoir /sentir / trouver/vivre, etc.).Une belle jeune fille souriante, heureuse de vivre et laissant le bonheur sortir par tous les pores de son visage (Champfl., Bourgeois Molinch.,1855, p. 42).Elle continuait à rire, heureuse de l'idée qu'elle allait avoir tout à l'heure un nouvel amant, (...) heureuse aussi de savoir qu'il faisait beau (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 127).Le rêveur est heureux d'être triste, content d'être seul et d'attendre (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 133).En partic. [Dans une formule de politesse] Je suis heureux de faire votre connaissance/de vous rencontrer/de vous voir. D'abord, ils se sont dit bonjour, puis : − Je suis bien heureux de vous connaître. − Le plaisir est partagé (Renard, Journal,1894, p. 199).♦ (Il est) heureux que (+ prop. gén. au subj.).Mon existence actuelle me plaît : heureux que mes goûts se trouvent si bien d'accord avec ma fortune (Lamennais, Lettres Cottu,1834, p. 274).
♦ Rendre un homme heureux [le sujet désigne une femme courtisée]. Lui accorder ses faveurs.
−
Expr. proverbiales ♦ Vx. Il n'est heureux que celui qui croit l'être.
♦ Les peuples/les gens heureux n'ont pas d'histoire*.
♦ [P. allus. à Florian, Fables, 1792, p. 94 : Il en coûte trop cher pour briller dans le monde. Combien je vais aimer ma retraite profonde! Pour vivre heureux vivons caché] Un inconscient dont la nature profonde, loin de tendre au défoulement, ne demandait qu'à continuer de vivre heureuse et cachée! (Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 27).
− [P. ell., exclamativement et gén. en tête de phrase (plus ou moins explicitement p. réf. à Matthieu 5, 3-12 et Luc 6, 20-23, v. bienheureux A)] Heureux (ceux) qui (+ prop.), heureux (+ subst. : les morts, etc.).Heureux (...) les pasteurs insouciants et rudes qui dorment à l'ombre de ces bois silencieux (...)! Heureuses toutes les créatures qui jouissent de la vie sans fatigue et sans excès! (Sand, Lélia,1833, p. 263).Heureux et bienheureux ceux qui reposent dans le cœur de leur Dieu et qui se réchauffent à sa vivante chaleur (Psichari, Voy. centur.,1914, p. 221).V. cabriole ex. 9 et croyant ex. 4.
−
Emploi subst. Personne heureuse. Le défilé de ces joyeux, de ces vivants, de tous ces heureux de vivre, de tous ces reconnaissants de l'existence, ça vous donne des idées homicides (Goncourt, Journal,1870, p. 556).Quand on est petit, on trouve tout naturel qu'il y ait des heureux et des malheureux, des bien-portants et des malades (...). Mais, en réfléchissant, on est épouvanté de tant de choses qui sont par trop injustes, par trop mauvaises (Martin du G., J. Barois,1913, p. 221).♦ Faire un/des heureux. Il semble méditer des bienfaits ou compter les heureux qu'il a faits (La Martelière, Robert,1793, V, 6, p. 66).
B. − P. méton. 1. [En parlant d'un aspect du comportement] Qui exprime le bonheur (v. ce mot B 1). Sourire, visage heureux; animation, expression, lassitude heureuse. Il avait l'air heureux; son teint était clair, et ses yeux doux et calmes (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 286).Une jeune femme d'une figure heureuse et joviale (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 151).Madame Edmée le remercia, d'une caresse heureuse qui effleura sa nuque (Mille, Barnavaux,1908, p. 241) :9. Elle était gracieuse et prévenante pour tous. Quand on arrivait chez nous, et qu'on la voyait là, assise à l'ombre de notre véranda, dans une pose heureuse et nonchalante, souriant à tous du sourire mystique des Maoris, on eût dit que notre case et nos grands arbres abritaient tout un poème de bonheur paisible et inaltérable.
Loti, Mariage,1882, p. 179.
2. [En parlant d'une chose gén. abstr.] Qui donne, favorise le bonheur; qui a le caractère du bonheur (v. ce mot B 1). Couler des jours heureux. Sa vieillesse était même plus heureuse que sa jeunesse. « Dans la jeunesse, tout paraît grave, sans remèdes; dans la vieillesse, on sait que tout s'arrange, plus ou moins mal. » (Maurois, Disraëli,1927, p. 325).Promenade exceptionnellement heureuse et belle. (...) jardins dont le tracé et les couleurs nous enchantent (Green, Journal,1949, p. 275).V.
cicatriser ex. 6 :
10. ... il [l'esprit] n'imagine cet état heureux et parfait qu'en attribuant à ce qui est privé de mouvement, à ce qu'il formule éternellement semblable à soi-même, les propriétés et les passions de ce qui est en mouvement incessant sous l'aiguillon d'un désir inassouvi et qui ne se peut procurer de la joie que par l'intermédiaire de la douleur et de la privation.
Gaultier, Bovarysme,1902, p. 247.
SYNT. a) Amour, mariage, songes, souvenirs heureux; condition, impressions, liberté, paix, position, union heureuse(s). b) Âge, jour(s), moments, temps heureux; années, enfance, époque, existence, heure(s), jeunesse, journée(s), minutes, nuit(s), soirées, vie heureuse(s).
♦ Heureux événement (v. ce mot ex. 6).
− Emploi subst. masc. sing. inv. Ce qui est heureux. L'heureux et le mauvais, l'agréable et l'amer concouraient à me déterminer (Arnoux, Zulma,1960, p. 50).