a) [En parlant d'une pers.] :
6. « Mes amis, maintenant retirez-vous; priez pour moi, et laissez-moi endurer en paix le dernier travail de la mort. » Il se tourna de l'autre côté, se fit lire la Passion, et commença d'agoniser. Peu après, il rendit le dernier soupir entre les bras de son ami le sire de la Rivière.
P. de Barante, Hist. des ducs de Bourgogne,t. 1, 1821-1824, p. 189.
7. Crémieux est mourant. Le grand auteur des bouffes-parisiens, en plein délire, agonise en faisant des imitations d'acteurs. Mourir en imitant Désiré, c'est effroyable! Il passera dans une cascade. Ne dirait-on pas la mort se blaguant elle-même dans le cerveau d'un vaudevilliste?
E. et J. de Goncourt, Journal,févr. 1862, p. 1022.
8. ... Gamelin fut appelé auprès du citoyen Fortuné Trubert, qui agonisait à trente pas du bureau militaire où il avait épuisé sa vie, sur un lit de sangle, dans la cellule de quelque Barnabite expulsé. Sa tête livide creusait l'oreiller. Ses yeux, qui ne voyaient déjà plus, tournèrent leurs prunelles vitreuses du côté d'Évariste; sa main desséchée saisit la main de l'ami et la pressa avec une force inattendue. Il avait eu trois vomissements de sang en deux jours. Il essaya de parler; sa voix, d'abord voilée et faible comme un murmure, s'enfla, grossit : ...
A. France, Les Dieux ont soif,1912, p. 197.
9. Mais on ne lutte pas avec la mort; et la mort étreignait le sergent, le serrant un peu plus tous les jours. Un soir, enfin, on hocha la tête. Sa mère était à Paris. L'infirmière-major demanda l'aumônier. On avait mis un paravent, comme toujours pour cacher les moribonds, en sorte que l'on ne pouvait rien voir : ni le prêtre, ni les sœurs, ni l'agonisant. Mais sur le mur blanc, ils se projetaient en silhouettes noires, énormes, et c'était comme une extrême-onction sinistre et géante au pays des ombres. − Gaspard et Dudognon avaient la gorge serrée. Le sergent agonisait, mais ne mourait pas. Il avait toute sa tête, et il lui semblait, se raccrochant à la suprême espérance de ceux qui meurent la nuit, que s'il atteignait le jour...
R. Benjamin, Gaspard,1915, p. 99.
10. Une vieille femme, l'autre jour, une très vieille femme mourait dans mon voisinage. (...). Elle agonisa lentement, mais doucement. La mort, tardive, semblait regretter de détruire ce chef-d'œuvre animé, cette argile humaine si noblement pétrie. Elle, cependant, la sentait approcher.
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 2, 1928, p. 267.
11. Parfois, la hâte des Allemands à se débarrasser de tous ceux qui n'étaient plus capables de se mouvoir seuls amenait des méprises tragiques : comme en cette fin d'après-midi où un Russe, transporté à la morgue encore moribond et jeté sur le ciment parmi d'authentiques cadavres, agonisa et gémit pendant trois longues heures avant d'expirer tout de bon.
F. Ambrière, Les Grandes vacances,1946, p. 172.
12. Affamer un ouvrier, rosser un noir ou un jaune est, parfois, une cruelle exigence de l'équilibre d'une firme : agir de même pour la grandeur du pays passera pour une décision de politique réaliste. Voir agoniser quelqu'un n'est jamais plaisant : mais les agonies se perdent dans les moyennes numériques et la statistique des cadavres ne s'inscrit pas dans une courbe croissante de revenu global ou moyen.
F. Perroux, L'Économie du XXesiècle,1964, p. 354.
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P. ext. [En parlant d'une collectivité hum.] :
13. Oh! villes de couvents, villes de catéchistes, Avec la sainte odeur des encens et des cires, Villes s'assoupissant, si doucement martyres De n'avoir pas été suffisamment aimées, Qui, dégageant le gris mourant de leurs fumées Comme une plainte d'âme exténuée et vierge, Agonisent dans le brouillard qui les submerge.
G. Rodenbach, Le Règne du silence,1891, pp. 226-227.
14. L'Espagne agonise sous le joug de l'Église romaine. L'Italie parut succomber. Elle n'a retrouvé la vie qu'en se libérant du pape, refoulé dans le Vatican. Restent l'Autriche catholique en proie aux suprêmes convulsions, et la France de la révolution contre qui toute l'armée papale, à l'heure présente, déploie ses bataillons.
G. Clemenceau, L'Iniquité,1899, p. 152.
b) [En parlant d'un animal, gén. domestique] :
15. Sa carcasse vacillante et comme prise d'ivresse donnait tantôt contre un brancard, tantôt contre l'autre. Il élevait la tête découvrant ses gencives, puis il la baissait comme s'il eût voulu mordre la neige. Son heure était arrivée, il agonisait debout en brave cheval qu'il avait été. Enfin il s'abattit et, lançant une faible ruade défensive à l'adresse de la mort, il s'allongea sur le flanc pour ne plus se relever.
T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 164.
16. Le canon pour eux c'était rien que du bruit. C'est à cause de ça que les guerres peuvent durer. Même ceux qui la font, en train de la faire, ne l'imaginent pas. La balle dans le ventre, ils auraient continué à ramasser des vieilles sandales sur la route, qui pouvaient « encore servir ». Ainsi le mouton, sur le flanc, dans le pré, agonise et broute encore. La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment; d'autres commencent et s'y prennent vingt ans d'avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la terre.
L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 46.