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Se tourner vers une personne déterminée pour lui parler : 15. − Vous, poursuivit Baccarat, s'adressant à Léon Rolland, il n'a fallu rien moins que mon apparition subite et la vue de l'homme qui a été votre ami, pour dissiper les fumées de cette ivresse sanguinaire allumée dans vos veines.
P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 3, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 203.
16. Il reprit sa marche, puis s'assit au fond du salon. Comme s'il s'adressait à un témoin de cette scène, il se tourna vers une chaise, et dit, avec des gestes passionnés :
− On pardonne une sottise à un ami. Mais on ne pardonne rien à sa femme. On veut qu'elle soit un monde, votre monde! On veut qu'elle partage même vos idées!
J. Chardonne, L'Épithalame,1921, p. 264.
Rem. 1. S'adresser s'emploie fréquemment au part. prés.; il introduit presque toujours le discours dir. ou bien est empl. en incise dans le corps du discours; empl. conjointement avec des verbes tels que parler et dire, il est destiné à les compléter, c.-à-d. à indiquer la pers. visée, ou, si elle est déjà nommée (ex. 15) à la préciser. 2. (En parlant d'un orateur, d'un écrivain) s'adresser à qqn, parler en public, écrire pour qqn :
17. ... Passavant plaît aux jeunes. Peu lui chaut l'avenir. C'est à la génération d'aujourd'hui qu'il s'adresse (ce qui vaut certes mieux que de s'adresser à celle d'hier) − mais comme il ne s'adresse qu'à elle, ce qu'il écrit risque de passer avec elle.
A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 990.
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En partic. Aller, se tourner vers quelqu'un, pour lui parler et obtenir de lui un renseignement, un service, la satisfaction d'un désir : 18. Hier, dimanche, réunion chez moi le matin. On raconte une anecdote que je ne garantis pas comme vraie, mais dont l'invention, même si elle est faite à plaisir, peut donner une idée des mœurs du temps. On prétend que le maréchal Molitor, voulant obtenir une place de sous-préfet pour un de ses parents, a été s'adresser à M. de Corbière, Ministre de l'Intérieur. Celui-ci l'a fort bien reçu, mais lui a dit qu'il serait bon, avant d'aller plus loin dans les démarches, de voir M. de Lavaux (Jésuite), préfet de police. Celui-ci, employant toujours les formes les plus douces, lui conseilla d'en parler à M. Franchet (Jésuite), chef de division à la police.
E.-J. Delécluze, Journal,1825, p. 185.
19. Il y a bien longtemps que j'ai de prêt Les Paysans, qui serviront près d'un mois le feuilleton de La Presse, il ne faut pas quinze jours pour les mettre en état de paraître; mais il faut savoir à qui s'adresser, où aller pour les faire composer.
H. de Balzac, Correspondance,1840, p. 121.
20. Maison fermée. Un mur. Personne, sauf un chien sur le mur. Pour louer, s'adresser au chien. Il vous recevra.
J. Renard, Journal,1906, p. 1077.
Rem. 1. L'ex. 19 offre l'étroite synon. entre s'adresser à qqn et aller dans un certain lieu, synon. qui ne fait que confirmer l'idée de direction contenue dans le verbe.
Rem. 2. Au lieu d'être suivi d'un obj. second. de pers., s'adresser peut s'employer avec un adv. de lieu, qui renvoie à une pers. implicite :
21. Artistes ou partisans, ceux qui désirent des ordres d'assaut ou des chansons de marches, ceux qui attendent des appels de pied et des sonneries de clairon se trompent en se tournant vers moi. Ils commettent une erreur de personne. Qu'ils veuillent bien m'excuser, je ne peux rien pour eux. Il faut qu'ils s'adressent ailleurs.
J.-R. Bloch, Destin du Siècle,1931, pp. 29-30.
Rem. 3. L'obj. second. de pers. peut être tout à fait implicite. S'adresser se construit alors absol. avec une détermination adv. qualitative. Peut être rapproché de l'expr. frapper à la bonne, à la mauvaise porte :
22. Lorsque le général Bonaparte fut nommé consul, ce qu'on attendait de lui, c'était la paix. La nation était fatiguée de sa longue lutte; et, sûre alors d'obtenir son indépendance, avec la barrière du Rhin et des Alpes, elle ne souhaitait que la tranquillité, certes elle s'adressait mal pour l'obtenir.
G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 2, 1817, p. 32.
Il se rencontre except. au part. passé pris substantivement, un mal adressé (pers. qui s'est adressée à qqn par méprise) : 23. Le laquais sort. Resté seul, don César se rassied, s'accoude sur la table, et paraît plongé dans de profondes réflexions.
C'est le devoir du chrétien et du sage, quand il a de l'argent, d'en faire un bon usage. (...) Mais je n'ose m'y fier, car on va me reprendre la chose. C'est méprise sans doute, et ce mal-adressé aura mal entendu,...
V. Hugo, Ruy Blas,1838, IV, 3, p. 426.