1. Qui prend plaisir à provoquer volontairement la souffrance physique ou morale d'autrui (ou d'un animal). Ces femmes-là aiment à être méprisées par leur amant, elles ne l'aiment que cruel (Stendhal, Amour,1822, p. 128).Le tendre Racine et le cruel Racine (...) Souvent un homme est irritable dans la mesure où il est tendre (Mauriac, Vie Racine,1928, p. 73):1. ... j'avais déjà remarqué que le bas peuple est peu intelligent, brutal, cruel même, à l'égard des faibles : les enfants et les animaux domestiques. Ce soir, devant la poste, en présence d'une foule qui ne réclamait pas, un homme, tenant un chien malade par les pattes de derrière, lui brisait le crâne contre les barreaux d'une grille. Impatienté de ce que sa victime mettait trop de temps à mourir, il a fini par la lancer pantelante et hurlante, sous les roues des voitures pour qu'elle y fût écrasée.
Michelet, Sur les chemins de l'Europe,1874, p. 177.
SYNT. Ennemi cruel, cruel ennemi. Il y a un plaisir délicieux à serrer dans ses bras une femme qui vous a fait beaucoup de mal, qui a été votre cruelle ennemie pendant longtemps et qui est prête à l'être encore (Stendhal, Amour, 1822, p. 246). PARAD. (Quasi-) synon. acharné, atroce, barbare, dur, féroce, impitoyable, inhumain, méchant, sadique, sauvage; (quasi-)anton. bon, compatissant, humain, pitoyable, tendre.
− P. anal. [En parlant d'une entité ou d'un objet plus ou moins personnifié(e)] Mes adversités, (...) commencèrent avec ma vie. La cruelle fortune m'arracha des bras de ma mère (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 414). ... un plomb cruel qui, dans sa course, brille, Siffle, et, fendant les airs, vous frappe sans pardon (Verlaine, Prem. vers,1858-66, p. 1).
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P. méton. [En parlant d'une partie du corps, d'une attitude physique ou morale, d'une forme d'expression, etc.] Qui trahit une volonté de faire souffrir. Mot cruel. Après le meurtre d'une bête ou d'un homme, le plaisir le plus cruel du paysan, c'est sans doute de couper des arbres (Renard, Journal,1902, p. 780).Un mélange incroyable de violence et de douceur : très enfantine, avec une petite bouche cruelle, qu'un rien pinçait méchamment (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 272):2. Cette fois, Jules ne fut point accueilli avec ces tournures polies qui lui avaient semblé si cruelles lors de la première entrevue. (...) elle était tremblante, et, comme le ton de Jules était fort réservé et que ses tournures de phrases étaient presque celles qu'il eût employées avec une étrangère, ce fut le tour d'Hélène de sentir tout ce qu'il y a de cruel dans le ton presque officiel lorsqu'il succède à la plus douce intimité.
Stendhal, L'Abbesse de Castro,1838, p. 190.
3. Ce naturel gouailleur et bilieux, cette âpreté cruelle qui aime à faire souffrir, leur [ceux qui sont nés sociables] répugne éternellement.
Amiel, Journal intime,1866, p. 449.
♦ Jeu cruel. C'était devenu pour elle un jeu cruel de le faire rougir, et presque sa seule prise sur lui (Montherl., Bestiaires,1926, p. 503).
− Loc. En faire voir de cruelles à qqn. Lui mener la vie dure; synon. fam. en faire voir des pierres, en faire voir de toutes les couleurs. Ah! J'en ai mené une dure d'existence, moi, en ce temps-là! Il m'en a fait voir de cruelles! (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Masque, 1889, p. 1167).Sans doute je ne veux pas dire que Madame avait raison. Elle lui en faisait voir de cruelles (Proust, Fugit.,1922, p. 681).
2. P. ext. Qui est indifférent à la souffrance ou aux malheurs d'autrui. Synon. inhumain, insensible :4. Quelqu'un vint dire : « Elle est passée ». Je me jetai à genoux au point H pour remercier Dieu de cette grande délivrance. Si les Parisiens sont aussi niais en 1880 qu'en 1835, cette façon de prendre la mort de la sœur de la mère me fera passer pour barbare, cruel, atroce.
Stendhal, Vie de Henry Brulard,t. 1, 1836, p. 240.
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En partic. [En parlant d'une femme] Insensible, rebelle aux avances d'un homme. J'enflamme un campagnard grison : Je suis cruelle, et celui-là m'épouse (Béranger, Chans.,t. 2, 1829, p. 166):5. Un prince qui avait renoncé à sa patrie, abandonné son trône et ses états, franchi les monts, passé les mers, soutenu vingt combats, couru mille dangers pour une cruelle dont il osait à peine espérer la faveur d'un regard moins sévère, était un exemple à citer...
Marmontel, Essai sur les romans,1799, p. 309.
− Loc., p. euphém. Être peu cruelle pour qqn. Lui accorder ses faveurs. Tullia la danseuse, qui, disait-on, était peu cruelle pour Du Bruel (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 439).Ne pas trouver de cruelles (subst.). Être heureux en amour. Ranuce-Ernest IV, qui trouvait rarement des cruelles, était piqué de ce que la vertu de la duchesse, bien connue à la cour, n'avait pas fait exception en sa faveur (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 132).
− P. méton. [En parlant d'une expression du visage, d'une attitude, etc.] Qui exprime l'indifférence. Il semble qu'une divinité champêtre se soit déguisée en Parisienne pour observer, avec un détachement cruel, le petit manège des femmes (Barrès, Voy. Sparte,1906, p. V).