1. [L'idée dominante est celle de mouvement; le verbe est construit avec un compl. désignant le lieu ou la direction] a) S'écarter du chemin que l'on doit suivre et ne pouvoir le retrouver. S'égarer dans un bois. Synon. se perdre.Si un voyageur inexpérimenté s'égare de quelques pas, le sable trompeur le saisit (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 79):5. Je me trompai, comme il m'arrive trop souvent, et m'égarai dans les cuisines. Instruit de mon erreur et remis dans la bonne voie, je pris place un instant plus tard dans une petite salle déserte.
Green, Journal,1938, p. 125.
b) [Souvent dans un cont. poét.] S'écarter intentionnellement de tout chemin et aller au hasard. Synon. errer, flâner.Les couples, de jour, ne pouvaient pas s'égarer dans les grèves, − de terre ou de mer ils risquaient d'être aperçus (Queffélec, Recteur,1944, p. 152).
c) Aller dans un lieu jugé condamnable moralement, ou insolite. Synon. se fourvoyer.L'abbé Klein causait avec divers universitaires chez qui il s'égare et on le poussait sur l'idée de Dieu (Barrès, Cahiers,t. 8, 1910, p. 101).Un uniforme français était un événement dans ces quartiers excentriques où nous ne nous égarions guère (Vercel, Capit. Conan,1934, p. 72).
d) [Le suj. désigne une partie du corps; gén. dans un cont. poét.] Se porter au hasard. Les pas s'égarent. Les libres horizons où s'égarait ta course (Lamart., Chute,1838, p. 1025).− P. anal. S'égarer sur (en parlant des mains, des gestes, des yeux, du regard).Errer sur, se porter avec trop de liberté sur. Sa main s'égarait sur moi plus hardiment que sur Madame, et à des endroits de mon corps plus précis (Mirbeau, Journal femme,1900, p. 117).Elle laissa quelques instants ses doigts s'égarer sur l'ivoire, esquissant des lambeaux de phrases musicales (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 79).
− P. métaph. J'ai dans mon cœur un parc où s'égarent mes maux (Noailles, Cœur innombr.,1901, p. 71).
2. Au fig. [Le suj. désigne une pers. ou une faculté psychique] a) Dans le domaine moral ou relig.S'écarter du droit chemin, du devoir. Celui-là ne sait pas à quel point il s'égare qui, par des dépenses excessives, réduit ses enfants à la gêne (Camus, Dév. croix,1953, 1rejournée, p. 530).
b) Dans le domaine
intellectuel.Se tromper, s'écarter de la vérité. Le jugement instinctif s'égare encore ici; et les braves gens comme Déroulède trouvent leur plaisir à être dupes (Alain, Propos,1913, p. 147):6. À quoi sert au savant cette vérité générale que ce phénomène, comme tous les autres est une forme? (...). Elle peut empêcher le savant de s'égarer en réalisant des abstractions et des symboles qui ne peuvent servir que d'étapes.
Ruyer, Esquisse d'une philos. de la struct.,1930, p. 233.
− Spéc. [Dans une discussion, un raisonnement] S'écarter de son propos. Leurs affaires! un bureau au rez-de-chaussée, un téléphone, une dactylo... derrière ce décor, l'argent disparaît par paquets de cent mille. Mais je m'égare (...) nous sommes en 1883 (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 44).
− P. méton. La discussion, le débat s'égare.
c) S'écarter du bon sens, du raisonnable. Synon. divaguer.Je me recouche, pardonnez-moi. Je crains de m'être exalté; je ne pleure pas, pourtant. On s'égare parfois, on doute de l'évidence, même quand on a découvert les secrets d'une bonne vie (Camus, Chute,1956, p. 1548).−
Être frappé d'égarement, d'un trouble psychique proche de la folie (
cf. égarement C 2).
Fernand sentit sa raison s'égarer et la folie arriver à grands pas (Ponson du Terr., Rocambole,t. 1, 1859, p. 700):7. Il m'arrivait de me dire avec fierté et avec crainte que j'étais folle : la distance n'est pas très grande entre une solitude tenace et la folie. J'avais bien des raisons de m'égarer. Depuis deux ans je me débattais dans un traquenard, sans trouver d'issue; je me cognais sans cesse à d'invisibles obstacles : ça finissait par me donner le vertige.
Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 258.
♦ La tête s'égare. La tête de Luizzi s'égarait de plus en plus; il sentait ses idées errer dans son cerveau comme une foule prise de vertige (Soulié, Mém. diable,t. 2, 1837, p. 355).
3. P. métaph. [Dans les mêmes domaines que 2 a et b; avec un compl. prép. désignant ce qui cause ou constitue l'égarement moral ou intellectuel] a) [Avec un compl. désignant le lieu, introduit souvent par dans] Il n'étoit pas dans son caractère de s'égarer longtemps dans des conjectures inutiles sur des choses qui la touchoient si légèrement (Nodier, J. Sbogar,1818, p. 135).Ma vie s'est concentrée dans cette seule idée : (...) te faire une position quand tu t'égarais dans mille expériences ou dangereuses ou folles (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 149):8. Ils en étaient tout de suite arrivés aux grands thèmes; il n'y a qu'avec les femmes qu'on va ainsi directement à l'essentiel; les conversations des hommes s'égarent d'abord du côté des gazogènes, des poulets à la crème et de la tactique politique.
Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 137.
b) [Avec un compl. désignant la direction, introduit par vers, sur, ...] Thomas d'Aquin n'ignore pas que l'amour humain s'égare trop souvent vers des objets indignes de sa nature (Gilson, Espr. philos. médiév.,1932, p. 78).Le metteur en scène a tort de s'égarer sur des effets de décors plus ou moins savamment éclairés (Artaud, Théâtre et double,1938, p. 128).
c) [Avec un compl. introduit par en] S'égarer en vains discours, en raisonnements. Je m'embarque, je m'embrouille, je patauge, je m'égare en un tissu d'inepties (Renan, Souv. enf.,1883, p. 152).