a) [Le subst. correspondant est amour] −
[Avec une idée de lien moral et/ou spirituel] ♦
[L'obj. désigne des membres de la famille naturelle] Aimer ses parents, ses enfants : 1. Vous perdrez un père qui avait tâché de substituer la raison au sentiment, et qui ne vous en aimait pas moins; son esprit était véritablement dupe de son cœur, ...
G. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1836.
2. ...dès que la raison vint à poindre, je me mis fort à t'aimer, ce qui dure encore. Maman était contente de cette union, de cette affection fraternelle, et te voyait avec charme sur mes genoux, enfant sur enfant, cœur sur cœur, comme à présent, les sentiments grandis seulement.
M. de Guérin, Journal intime,1838, p. 180.
3. Elle mourut en couches. Il en faillit mourir aussi... Mais la vue de l'enfant lui donna du courage : un petit être crispé qui geignait. Il l'aima d'un amour passionné et douloureux, d'un amour malade où restait le souvenir de la mort, mais où survivait quelque chose de son adoration pour la morte.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Le Petit, 1883, p. 389.
4. Nous aimions beaucoup nos parents, mais il fallait toute notre indulgence pour leur pardonner des exigences aussi baroques que celle de vouloir nous imposer leurs amis, comme si les amis étaient quelque chose dont on pouvait hériter.
E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 300.
5. Il savait ce que sa mère pensait et qu'elle l'aimait en ce moment. Mais il savait aussi que ce n'est pas grand-chose que d'aimer un être ou du moins qu'un amour n'est jamais assez fort pour trouver sa propre expression. Ainsi, sa mère et lui s'aimeraient toujours dans le silence. Et elle mourrait à son tour, ou lui, sans que, pendant toute leur vie, ils pussent aller plus loin dans l'aveu de leur tendresse.
A. Camus, La Peste,1947, p. 1456.
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P. anal. [L'obj. désigne un être spirituel ou un être envisagé comme tel] Aimer Dieu, son prochain : 6. Ne craignez point de massacrer vos frères au nom du Dieu qui vous ordonne de les aimer; il n'y a point là de contradiction, hommes de peu de foi. C'est par amour que nous les tuons : nous en égorgerons cent mille; mais nous circoncirons les autres. D'ailleurs il y a une différence si prodigieuse entre des infidèles et des vrais croyans, qu'il n'est pas bien prouvé que ceux-là soient aussi des hommes. Ainsi parla l'imposture appuyée sur le fanatisme, insultant à la raison pour se soustraire à l'examen, divinisant l'absurdité par l'audace et semant les haines pour obtenir l'empire.
É. Senancour, Rêveries,1799, p. 130.
7. Mais à quoi servirait la foi des philosophes quand on est malheureux? Qu'attendre d'un être inaccessible [Dieu], si loin, si loin de l'homme qu'on ne peut pas l'aimer en l'adorant, et le cœur, cependant, veut aimer ce qu'il adore et adorer ce qu'il aime; ce qui s'est fait quand Dieu s'est fait chair, quand il a habité parmi nous. De cette condescendance infinie nous est venue notre foi confiante.
E. de Guérin, Journal,1838, p. 219.
8. « Avez-vous aimé quelqu'un ou quelque chose autant que Dieu? L'avez-vous aimé de toute votre âme, de tout votre cœur, de toute l'énergie de votre amour? » Sabot suait de l'effort de sa pensée. Il répondit : « Non. Oh non, m'sieu l'curé. J'aime l'bon Dieu autant que j'peux. Ça − oui − j'l'aime bien. Dire que j'aime point m's'éfants, non : j'peux pas. Dire que s'il fallait choisir entre eux et l'bon Dieu, pour ça je n'dis pas ».
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Confession de Théodule Sabot, 1883, p. 41.
9. Vous savez la fragilité de l'amour sexuel, que sa naissance dépend de la matité d'un teint, et sa mort d'une ride. Voyez donc le cœur du moine qui aime chaque pécheur et tout de suite, sans choisir ni se lasser! ...
J. Péladan, Le Vice suprême,1884, p. 287.
10. À celui-là, il n'est pas difficile de croire que Dieu nous a aimés, et qu'il nous aime plus ardemment aujourd'hui qu'il nous broie. Pour les âmes moins généreuses, pour toutes celles qui subissent la tentation du désespoir, l'effort doit porter sur ce point de notre croyance : nous sommes aimés. Quel texte aiderait mieux leur méditation que la prière de Pascal Pour le bon usage des maladies?
F. Mauriac, Journal 3,1940, p. 283.
11. ... − j'aurais voulu être un saint comme les saints des premiers temps. Depuis mon enfance, cette idée m'était familière que je serais l'ami de Dieu. J'aimais Dieu. J'ai aimé Dieu avant de le craindre. Maintenant, tout a changé.
J. Green, Moïra,1950, p. 191.
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P. ext. [L'obj. désigne la communauté naturelle à laquelle on appartient, ou celui ou ce qui la symbolise] Aimer son pays, le souverain : 12. Témoignons un vrai patriotisme qui fera rougir celui des soi-disant libéraux, ces damnés intrigants, hein? Crois-tu que je n'aime pas mon pays? Je veux montrer aux libéraux, à mes ennemis, qu'aimer le roi, c'est aimer la France!
H. de Balzac, César Birotteau,1837, p. 10.
13. Paris, 8 décembre 1869. Mes malles encore pleines encombraient la salle à manger. J'étais assis devant une table chargée de ces bonnes choses que le pays de France produit pour les gourmets. Je mangeais d'un pâté de Chartres, qui seul ferait aimer la Patrie.
A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard,1881, p. 325.
14. ... il les éleva [les mains] soudain en un geste dramatique.
− Si la France périssait, déclara-t-il, ça serait comme qui dirait aussi pire pour le monde que si le soleil tombait. On fit silence. Tous ces hommes, même les plus durs, les plus taciturnes, aimaient la France. Il leur était resté à travers les siècles un mystérieux et tendre attachement pour leur pays d'origine, une clarté diffuse au fond de l'être, une vague nostalgie quotidienne qui trouvait rarement à s'exprimer mais qui tenait à eux comme leur foi tenace et comme leur langue encore naïvement belle.
G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, pp. 362-363.
15. ... seul en face de la Russie, Staline la vit mystérieuse, plus forte et plus durable que toutes les théories et que tous les régimes. Il l'aima à sa manière. Elle-même l'accepta comme un tsar pour le temps d'une période terrible et supporta le Bolchevisme pour s'en servir comme d'un instrument. Rassembler les Slaves, écraser les Germaniques, s'étendre en Asie, accéder aux mers libres, c'étaient les rêves de la Patrie, ce furent les buts du despote.
Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,Le Salut, 1959, p. 61.
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[Avec une idée de passion de nature affective ou physique] Aimer tel homme, telle femme : 16. M. de Staël est parfait pour moi. S'il sait vous voir comme il parle de vous, il sera un ange, mais cela ne fait pas que sa conversation m'enchante. Je l'aime de toute la puissance de ma raison.
G. de Staël, Lettres inédites à Louis de Narbonne,1793, p. 142.
17. Un homme de qualité se marie sans aimer sa femme, prend une fille d'Opéra, qu'il quitte en disant : « c'est comme ma femme »; prend une femme honnête pour varier, et quitte celle-ci en disant : « c'est comme une telle »; ainsi de suite.
Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 104.
18. Mon amour, aime-moi. Sur l'herbe chaque soir,
Au coucher du soleil, nous viendrons nous asseoir.
Je te ferai ceci et cela pour te plaire.
A. Chénier, Bucoliques,Aveux, propos et plaintes, 1794, p. 146.
19. En possédant cette femme, Eugène s'aperçut que jusqu'alors il ne l'avait que désirée, il ne l'aima qu'au lendemain du bonheur : l'amour n'est peut-être que la reconnaissance du plaisir.
H. de Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 277.
20. Tu prodigues des serments de fidélité à deux hommes eh bien, où est le si grand mal, si tu les aimes tous les deux?
− C'est faux, bohémienne! Je te couperai la langue.
− Charmante! Ce n'est pas ma langue qui a menti, c'est ta main; elle est trop jolie pour qu'on la coupe.
Et en la lui baisant, la bohémienne ajouta :
− Calme-toi. J'ai dit : deux hommes; il y a erreur. Soit, tu n'en aimes qu'un, tu trompes l'autre.
L. Gozlan, Le Notaire de Chantilly,1836, p. 145.
21. Qu'ils racontent une anecdote, qu'ils rendent compte de ce qu'ils ont éprouvé, toujours le mot sale et physique, toujours la lettre, toujours la mort. Ils ne disent pas : cette femme m'a aimé; ils disent : j'ai eu cette femme; ils ne disent pas : j'aime; ils disent : j'ai envie; ils ne disent jamais : Dieu le veuille! ils disent partout : si je voulais!
A. de Musset, La Confession d'un enfant du siècle,1836, p. 318.
22. J'étais jaloux, très jaloux, ce qui prouve que je vous aimais. Je vous ai battue, ce qui le prouve davantage encore, et battue très fort, ce qui le démontre victorieusement.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Revanche, 1884, p. 980.
23. ... elle n'avait plus de lui que ces caresses d'habitude, données ainsi qu'une aumône aux femmes dont on se détache; et, comment l'aimer encore, quand il s'échappait de ses bras, qu'il montrait un air d'ennui dans les étreintes ardentes dont elle l'étouffait toujours? Comment l'aimer, si elle ne l'aimait pas de cette autre affection de chaque minute, en adoration devant lui, s'immolant sans cesse?
É. Zola, L'Œuvre,1886, p. 228.
24. ... nous avons assez vécu tous les deux pour avoir appris que la désillusion est aussi une bonne condition de bonheur. Je vous aime, monsieur, d'un amour que des années de silence ont concentré, non affaibli. Pour des âmes comme les nôtres, l'amour ne va pas sans le devoir. Prenez-moi telle que je suis, pour une ressuscitée à la vie, décidée à la recommencer avec vous.
E. Renan, Drames philosophiques,L'Abbesse de Jouarre, 1888, p. 678.
25. ... il n'y a pas de vices qui ne trouvent dans le grand monde des appuis complaisants, et l'on a vu bouleverser l'aménagement d'un château pour faire coucher une sœur près de sa sœur dès qu'on eut appris qu'elle ne l'aimait pas qu'en sœur.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 716.
26. ... en entendant M. de Charlus dire, de cette voix aiguë et avec ce sourire et ces gestes de bras : « Non, j'ai préféré sa voisine, la fraisette », on pouvait dire : « Tiens, il aime le sexe fort », avec la même certitude que celle qui permet de condamner, pour un juge, un criminel qui n'a pas avoué, pour un médecin, un paralytique général qui ne sait peut-être pas lui-même son mal, mais qui a fait telles fautes de prononciation d'où on peut déduire qu'il sera mort dans trois ans.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922p. 966.
27. ... elle voulait détester Vidame, détester ses manières de faux aristocrate dédaigneux, sa suffisance et ses railleries parfois triviales. Elle ne l'aimait pas, elle ne l'aimerait jamais; il lui inspirait une secrète et inexplicable aversion.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 82.
28. Je voudrais te dire tous les vieux mots d'amour, les mots usés qui sont vrais une fois dans la vie d'un homme ... si je te dis que je t'aime à la folie, c'est que c'est vrai, c'est que je deviens fou d'amour!
E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 57.
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Emploi abs. [L'obj. est/n'est pas suggéré par le cont.] Être amoureux : 29. Lorsque je lis un roman, celui qui aime le plus vivement a toujours raison à mes yeux.
G. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1657.
30. ... le verbe est la parole par excellence, parce qu'il est l'expression exacte de l'être intelligent, et de toutes ses manières d'être, de pensée, de sentiment et d'action, et que nul autre que l'être intelligent ne peut dire, je veux, j'aime, j'agis, je suis.
L.-G.-A. de Bonald, Législation primitive,t. 1, 1802, p. 254.
31. ... quoique la beauté soit beaucoup, ce n'est pas assez cependant pour inspirer un attachement durable. − Madame, répondit l'Archevêque, nous ne sommes point ici en Europe, où les femmes, libres dans leur choix, ont besoin de temps pour aimer et pour être aimées, parce qu'elles ne peuvent former que des liens exclusifs et indissolubles, que le bonheur de ces liens ne s'appuie que sur des vertus, et que les vertus ne se découvrent qu'avec l'aide du temps ...
MmeCottin, Mathilde,t. 1, 1805, p. 128.
32. Qu'il aime peu, celui qui peut dire de quelles paroles s'est servie sa maîtresse pour lui avouer qu'elle l'aimait!
A. de Musset, La Confession d'un enfant du siècle,1836, p. 209.
33. Une aimable et belle étrangère qui est à Paris disait : « On n'aime plus. Que je serais donc heureuse d'être aimée comme les Français aiment leurs propriétés! »
Ch.-A. Sainte-Beuve, Les Cahiers,1869, p. 102.
34. ... elle t'aime; elle t'aime passionnément, comme une femme chaste qui n'a jamais aimé. Quarante ans est un âge terrible pour les femmes honnêtes, quand elles ont des sens; elles deviennent folles et font des folies.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Une Passion, 1882, p. 825.
35. ... les hommes ne savent jamais comment il faut aimer. Rien ne les contente. Tout ce qu'ils savent, c'est rêver, imaginer de nouveaux devoirs, chercher de nouveaux pays et de nouvelles demeures. Tandis que nous, nous savons qu'il faut se dépêcher d'aimer, partager le même lit, se donner la main, craindre l'absence.
A. Camus, Le Malentendu,1944, I, 4, p. 127.
36. − Vous vous haïssez tous, cria-t-il d'une voix étranglée, puérile. Aimer, dans votre langue, ça veut dire « aide-moi à souffrir, souffre pour moi, souffrons ensemble ». Vous haïssez votre plaisir. Oui, vous haïssez votre corps d'une haine sournoise, oui, vous haïssez votre corps d'une haine sournoise, amère.
G. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 969.
37. Du moment qu'on aime, on n'est pas libre. Mais ce n'est tout de même pas pareil d'aimer quelqu'un qui se croit des droits sur vous ou quelqu'un qui ne s'en croit aucun.
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 448.
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En partic. Accomplir l'union sexuelle : 38. Jusqu'alors irréprochable, cette malheureuse enfant écouta les tentations auxquelles l'exposait plus que d'autres (qui la blâmeront trop vite peut-être) le milieu où son état la contraignait de vivre. Bref, elle fit une faute : − elle aima. Ce fut sa première faute; mais qui donc a sondé l'abîme où peut nous entraîner une première faute? Un jeune étudiant candide, beau, doué d'une âme artiste et passionnée, mais pauvre comme Job, un nommé Maxime, dont nous taisons le nom de famille, lui conta des douceurs et la mit à mal.
Ph.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Contes cruels, Les Demoiselles de Bienfilatre, 1883, p. 12.
−
Plus gén. (proverbe) Qui aime bien châtie bien . Rem. 1. Le compl. d'obj. peut être remplacé par un adv. (ailleurs = « quelqu'un d'autre ») :
39. ... Octave ne passait plus devant la porte de Marie sans entrer, repris d'un singulier goût, d'un coup de passion, qu'il ne s'avouait même pas; il adorait Berthe, il la désirait follement, et, dans ce besoin de l'avoir, renaissait pour l'autre une tendresse infinie, un amour dont il n'avait jamais éprouvé la douceur, au temps de leur liaison. C'était un charme continuel à la regarder, à la toucher, des plaisanteries, des taquineries, les jeux de main d'un homme qui voudrait reprendre une femme, avec la secrète gêne d'aimer ailleurs.
É. Zola, Pot-Bouille, 1882, p. 260.
ou une (loc.) prép. Cf. M. Proust, À la recherche du temps perdu, La Prisonnière, 1922, p. 92 : ,,Nous étions résignés à la souffrance, croyant aimer en dehors de nous...``
Rem. 2. Dans la lang. class. ou littér., la pers. aimée peut être désignée par le mot objet ou par le pron. ce :
40. Sans doute, c'est par l'amour que l'éternité peut être comprise; il confond toutes les notions du temps; il efface les idées de commencement et de fin; on croit avoir toujours aimé l'objet qu'on aime, tant il est difficile de concevoir qu'on ait pu vivre sans lui.
G. de Staël, Corinne, t. 2, 1807, p. 32.
41. ... est-il quelque chose de plus amusant, de plus original que de payer sa propre femme? On n'aime bien, en amour illégitime, que ce qui coûte cher, très cher. Vous donnez à notre amour... légitime, un prix nouveau, une saveur de débauche, un ragoût de... polissonnerie en le tarifant comme un amour coté.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles, t. 1, Au bord du lit, 1883, p. 901.
42. Il y a des moments où c'est trop et c'est trop et c'est trop et c'est assez, et je n'en puis plus, et je suis trop seule, arrachée, arrachée à ce que j'aime! Et je suis trop malheureuse, et je suis trop punie, et je prie de mourir, et j'ai peur de mourir, et je suis contente de mourir!
P. Claudel, Partage de midi, 1949, III, p. 1129.
b) [Avec une idée de choix et de désintéressement; le subst. correspondant est amitié] Aimer qqn [comme un(e) ami(e)] : 43. ... l'opinion est un peu comme les balances; elle hausse et baisse jusqu'à ce qu'elle ait trouvé le point juste de l'équilibre. Alors elle s'arrête, et laisse en repos l'intérêt et l'inquiétude de ceux qui nous aiment. Quand je dis « ceux », je crois pourtant que c'est « celui », et je me livre à penser que tu es distingué en sentiment pour moi.
G. de Staël, Lettres de jeunesse,1786, pp. 78-79.
44. ... cette année, au mois de septembre, à quatre heures du soir, par un temps gris et brumeux, j'ai embrassé pour le quitter un homme que j'aime de cette affection ardente et qui ne ressemble à nulle autre, allumée au fond de l'âme je ne sais par quelle étrange puissance réservée aux hommes de génie. M. Féli m'a mené dans la vie neuf mois durant, au bout desquels le fatal carrefour s'est rencontré. − L'habitude de vivre avec lui faisait que je ne prenais pas garde à ce qui se passait dans mon âme; mais depuis que je ne le vois plus, j'y ai trouvé comme un grand déchirement qui s'est fait au moment de la séparation.
M. de Guérin, Journal intime,1833, p. 180.
45. ... et il faut toujours écrire, être toujours neuf, jeune, ingénieux, et achever mon histoire de la société moderne en action. Je puis vous dire ces choses à vous, qui êtes une vieille connaissance et qui m'aimez un peu, malgré l'isolement, les séparations et n[os] traverses, car n[ous] sommes deux vieux lutteurs et nous sommes liés par une estime réciproque.
H. de Balzac, Correspondance,1839, p. 643.
46. ... Hubert dit, presque bas :
− J'allais vous proposer une sorte de traité secret, demoiselle qui n'aimez personne. Car il doit être bien entendu que vous n'aimez personne.
− C'est vrai, je n'aime personne, parce que j'aime tout le monde. Je pensais même à me faire inscrire au club des indifférents.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 190.
47. L'autre jour, un religieux que j'aime beaucoup m'appelle au téléphone et me dit : « Je veux vous rassurer au sujet de l'enfer. »
J. Green, Journal,1949, p. 246.
48. Un jour de décembre, sur les instances de Mmed'Houdetot et parce qu'il aimait encore son ami, Diderot s'était décidé à venir à l'ermitage pour consoler Jean-Jacques et le rendre à lui-même et pour savoir enfin la vérité de tous ces ragots qui lui revenaient.
J. Guéhenno, Jean-Jacques,Roman et vérité, 1950, p. 240.
−
Emploi abs. : 49. Celui qui aime son amie ou son ami l'aime dans le présent et la révolution ne veut aimer qu'un homme qui n'est pas encore là. Aimer, d'une certaine manière, c'est tuer l'homme accompli qui doit naître par la révolution. Pour vivre un jour, en effet, il doit être, dès aujourd'hui, préféré à tout. Dans le règne des personnes, les hommes se lient d'affection; dans l'empire des choses, les hommes s'unissent par la délation.
A. Camus, L'Homme révolté,1951, p. 294.